C’était la première fois que j’assistais à un débat de la SCAM. J’étais curieuse de connaître l’état du documentaire d’auteur en Europe, l’économie possible pour les films de nos pays voisins. Mais en réalité, j’ai eu un aperçu de ce qu’est la télévision française et des petits conflits personnels en interne.
Le débat était en effet très franco‐français et les quelques invités venant de Belgique ou de la Commission Européenne ont bien eu du mal à prendre la parole et le régulateur a eu du mal à recentrer le débat sur la problématique européenne. Heureusement il y a eu quelques interventions du public pour resituer la discussion, mais malheureusement, c’était l’heure de conclure… Ce ne fut pas un grand succès. Néanmoins ce fut pour moi l’occasion d’entendre parler les programmateurs de France Télévision et d’Arte et d’apercevoir les rouages du système, étant prochainement susceptible de me frotter à ce milieu. Ils nous ont bien rappelé qu’ils ont un système de cases et de lignes éditoriales, qui les oblige à choisi, qu’ils ne sont « pas des agences de développement culturel, mais des entreprises de service public » et qu’il faut penser que l’argent vient des redevances TV et que donc il faut s’adapter aux fameuses attentes du public, qui ne vont pas majoritairement vers la culture. Mais cela engendre une grande frustration des auteurs qui ont un regard sur le monde et qui n’entrent pas dans les cases, d’être ainsi écartés de la programmation. Le grand argument des programmateurs TV, qui tombe assez à côté de la question, est : « Demandez aux auteurs s’ils ont l’impression de faire le même film que celui qui est passé dans la même case la semaine précédente ! ». Oui, certes, nous n’avons jamais l’impression de faire le même film qu’un autre mais les « marques de fabrique » des chaînes et des « attentes du public », formatent les films quoi qu’on en dise. On retrouve dans de nombreux films des critères formels, qui nous font en tant que spectateur, définir le film comme un « Arte 20h » par exemple. « Il faut concilier l’autonomie esthétique avec des cases et des lignes éditoriales » : ce qui paraît logique mais si on regarde des exemples concrets, je ne suis personnellement pas sûre que les deux soient éthiquement conciliables. J’ai entendu à plusieurs reprises les programmateurs se vanter que beaucoup de grands réalisateurs travaillent pour la TV. Oui, c’est vrai, la TV contribue à la création artistique et à la mise en valeur de certains grands auteurs. Mais un problème se pose à moi : Comment dire qu’on défend et aide des réalisateurs talentueux, quand les normes télévisuelles détruisent une partie de leur création artistique et de leur réflexion cinématographique? Que serait le film « Seules dans les montagnes du Yunnan » du grand réalisateur chinois Wang Bing, sans le panneau explicatif du début expliquant que les trois petites filles que nous allons voir sont abandonnées par leur mère et que leur père travaille en ville ? Ça serait un grand film, dans lequel la compréhension de la réalité humaine de ces petites filles se révèlerait au fur et à mesure (ce qui est pensé dans la structure du film, le montage et le dispositif). La norme télévisuelle a cassé une grande partie du film : quand la plus grande des filles parle pour la première fois à la caméra (au milieu du film à peu près) et explique la situation familiale, à ce moment précis on ne comprend pas la force de ce premier dialogue parlé entre le personnage et le cinéaste, car ces informations qu’elle nous donne, nous ont été données et pré‐machées par Arte sur un panneau noir au début du film. Heureusement Wang Bing est en train de continuer son film et j’espère cette fois que l’art cinématographique ne sera pas gâché pour quelques pourcentages d’audimat.
Comme l’a dit un producteur italien dans le public du débat de la SCAM, en Italie, ils n’ont pas de financements de la télévision et donc pas à rentrer dans des cases : ils sont libres dans la misère. Ce n’est certainement pas l’idéal, mais la question est toujours de comment faire dans l’entre deux ? Être dans une économie un minimum confortable et avoir une visibilité ou rester libre dans sa proposition artistique ?
Lola Contal