Over the Limit – Marta Prus
Margarita Mamun, 20 ans, parcourt les compétitions de gymnastique rythmique avec son entraîneuse, Amina Zaripova, et Irina Viner, l’entraîneuse de l’équipe de gymnastique rythmique de Russie. Pendant une heure et quart, nous entrons dans le monde rigoureux et cruel de l’athlétisme russe. L’œil de Marta Prus se glisse, invisible, dans le cœur de Margarita Mamun pour nous faire découvrir la pression physique et psychologique qui règne dans les salles d’entrainement. Les choix de cadrage, la composition sonore et la force des personnages du film nous font presque croire que tout cela n’est qu’une gigantesque mise-en-scène. Avec ce long-métrage époustouflant, Marta Prus nous prouve (une fois encore) que la réalité dépasse bel et bien la fiction.
Marta Prus a réalisé ce qui semblerait être un véritable exploit en s’intégrant dans le monde très fermé de la gymnastique rythmique russe. Mais on lève surtout notre chapeau à l’intimité de ces trois portraits de femmes, chacune plus stupéfiante l’une que l’autre. Marta Prus parvient à nous amener au plus proche de ces relations singulières avec une sensibilité remarquable. Le dispositif filmique s’adapte parfaitement au lieu et aux situations, si bien que l’on se sent tout de même un peu voyeur face à la douleur qu’exprime le visage puissant de Margarita Mamun persévérant devant les vagues d’insultes et de violence d’Irina Viner.
Marta Prus se faufile dans la relation complexe qui la jeune gymnaste Rita à ses coach Amina et Irina. Avec son chef opérateur, Adam Suzin, elle se place au plus proche des personnages jusqu’à se faire oublier. Dès le début du film, cette proximité paraît fictionnelle tant la caméra semble invisible aux yeux des protagonistes. Avec pudeur, le chef opérateur laisse à Rita l’espace intime de ses conversations familiales et amoureuses, en mettant une légère distance dans le cadre avec par exemple une porte en amorce, Cette ligne invisible et subtile est semblable à la force mentale de Rita que l’on observe lutter contre les leçons brutales de ses coachs. C’est ce conflit intérieur qui intéresse la réalisatrice. Comprendre l’action à exécuter ou l’enchaînement chorégraphique n’est absolument pas pertinent. Un geste tendu, un regard appuyé, une attitude trop calme, sont chargés de significations et le cadrage nous y rend attentifs, accompagnant Rita dans tous ses mouvements, nous faisant oublier l’espace extérieur. Seuls comptent les relations et tensions entre les personnages et Adam Suzin témoigne d’une grande habileté pour construire la narration par sa façon de cadrer.
En continuité de ces choix de réalisation, Marta Prus a travaillé étroitement avec Maciej Pawlinski, l’ingénieur du son et monteur du film. La composition sonore laisse transparaître un travail de post-production considérable. On imagine facilement l’ambiance sonore des grands stades où s’entraîne la gymnaste avec une réverbération assourdissante et beaucoup de bruits parasites. Les séances d’entraînement nous laissent entendre tout le paysage avec une balance parfaite : la musique en fond sonore, les bruits de cerceau, de massues et de ballon sur le sol, quelques respirations.Ce sentiment qui nous a fait douter au début : « est ce une fiction ? » est en effet alimenté par le point de vue omniscient créé par le paysage sonore, les cadrages et la présence des personnages. Marta Prus parvient à capturer chaque moment avec douceur sans rien laisser de côté, ce qui fait de ce film un tableau complet et juste de la jeune gymnaste Margarita Mamun.
Bande-Annonce :
https://mubi.com/fr/films/over-the-limit/trailer
Circé Pfersdorff et Nina Defontaine