Dreams of a blind man

Interview avec Amélie Barbier, 

réalisatrice de Dreams of a blind man

Dreams of a blind man est un court métrage de 13 minutes d’Amélie Barbier réalisé en 2017, au sein de l’Université Paris 7 et du Master DEMC.

Hossein a traversé neuf pays sans les voir. Aveugle de naissance, il a du fuir l’Iran à pied. Les fantômes sonores de son passé reviennent souvent lui rappeler la violence qu’il a laissée derrière lui, mais aussi sa terre natale, emprunte d’amour.*

*Synopsis issu du catalogue du FIPA

 

Louis – Dans Dreams of a blind man, il y a un rapport esthétique proche de canons cinématographiques hollywoodien, avec des travellings, des gros plans sur les corps, des effets de profondeurs de champ, un éclairage particulier, que signifie pour toi ce rapport formel avec le fond de l’histoire du film ?

Amélie Barbier – Au moment de l’écriture du film, j’avais envie de jouer sur les codes du documentaire pour raconter l’histoire d’Hossein. Sa grande « traversée du désert », sa solitude, son indépendance et son statut de fugitif, tout ça me faisait penser aux westerns et à l’imaginaire des « héros solitaires » du cinéma américain et italien ; au départ, l’écriture visuelle du film reprenait donc l’esthétique du western. Ça se sent encore à certains moments, par exemple au début du film, avec la petite éolienne de fer et le sifflement d’Hossein, ou, comme tu l’as noté, avec les travellings qui suivent sa déambulation dans la ville. Les pas des cowboys sont rythmés par leurs santiags qui tapent sur le sol ; avec Hossein, ce sont les tapements de sa canne par terre qui marquent sa démarche. Même si on s’est éloignés du style « western » au tournage puis au montage, il reste pas mal d’éléments qui rappellent la première écriture du film (le plus visible est sûrement le format Cinemascope).

Le style western marchait bien pour raconter le long voyage d’Hossein, mais ça ne fonctionnait pas pour les séquences plus introspectives. Comme les scènes sur le rêve et l’imagination étaient très importantes pour moi, les moments de style western se sont un peu effacés pour laisser la place à quelque chose de plus onirique. C’était important car le film venait de là, j’étais allée à la rencontre de personnes aveugles pour leur poser des questions sur leur manière de rêver, les formes que prenait leur imagination. On a particulièrement travaillé l’éclairage pour les scènes oniriques car Hossein m’avait beaucoup décrit son univers intérieur et les concepts qu’ils avait créés autour des couleurs notamment, c’était important pour moi d’essayer de donner une forme cinématographique à tout ça. Donc le travail sur la forme vient à la fois d’une volonté de mettre en image les concepts un peu abstraits d’Hossein, ce qu’il appelle ses « images mentales », et aussi d’une envie de travailler la dimension « mythique » et impressionnante de son histoire en jouant avec un style inspiré du cinéma de genre (western donc, mais aussi un peu de cinéma fantastique et giallo pour les moments plus oniriques et l’utilisation des couleurs dans ces scènes-là).

Tu disais qu’une cheffe-opératrice, Elise Vray a fait les images, comment s’est déroulé votre travail ? 

J’ai travaillé avec deux camarades de ma promo du DEMC, Elise Vray à l’image et Pierrick Boyer au son. Elise a intégré cette année la Fémis en image ; elle voulait déjà devenir chef op l’an dernier, c’était donc vraiment super de travailler sur l’image avec elle car elle était très motivée et impliquée. Avant le tournage, j’ai beaucoup travaillé sur le découpage car je savais qu’on n’aurait pas un grand temps de tournage (5 jours) et qu’il serait important d’expliquer à Hossein en détails ce qu’on voulait faire. Chaque scène était donc écrite avant le tournage, il y avait un découpage pour tout le film – même si il y a quand même eu beaucoup d’imprévus au tournage. J’ai montré à Elise des références filmiques pour l’image, par exemple Il était une fois dans l’Ouest, mais aussi des choses plus expérimentales comme Amer d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, Suspiria d’Argento, ou encore le western russe Le Soleil blanc du désert. On a beaucoup discuté du découpage, de la faisabilité des plans (par exemple, je voulais vraiment qu’on puisse faire des travellings, on a donc fait des tests et des repérages avec plusieurs techniques de stabilisation, et finalement on a fini par louer un fauteuil roulant). On s’est beaucoup préparés avant le tournage, heureusement car tout est allé très vite ensuite, on avait une destination par jour : un jour en ville, un autre en studio, puis dans la forêt, et enfin on a pris le train pour la Charente pour filmer les plans de l’éolienne et de la nature…

 

Parle nous du personnage, de son histoire et aussi de ce qu’il raconte, d’où vient le texte qui ressemble à un recueil d’impressions ?

La voix-off n’est pas vraiment un texte, c’est un montage de différentes interviews qu’on a faites avec Hossein. On l’a interviewé en appartement mais aussi dans la forêt, car c’était intéressant de voir les souvenirs lui revenir dans des lieux qui lui rappelaient son périple. Je connaissais Hossein depuis plus d’un an avant le tournage, on avait déjà beaucoup parlé, et j’avais à chaque fois enregistré nos entretiens. Je n’ai pas utilisé ces enregistrements, mais ils ont servi de base pour préparer les questions des entretiens au tournage. Tout ce qu’il dit dans le film, il me l’avait déjà raconté, mais d’une autre façon, avec une autre tournure. L’enjeu était donc de faire revenir ces récits sans forcer les choses, sans avoir trop d’attentes par rapport à ce que j’avais déjà entendu.

Il y avait bien sûr des sujets plus difficiles que d’autres ; ce n’était pas facile pour Hossein de se remémorer, par exemple, les manifestations du Mouvement Vert contre le gouvernement en Iran en 2009. Beaucoup de choses ne sont pas inclues dans le film, faute de temps (nos films étaient limités à une durée de 13 minutes) ; Hossein a vraiment été en danger là-bas, il a été menacé et sa famille aussi. Il a été considéré comme un opposant politique, et a dû quitter le pays en 2012. Un passeur l’a amené jusqu’en Turquie, et il est resté là plus d’un an pour amasser assez d’argent pour continuer le voyage. Il a été aidé par différentes personnes le long de la route, et il est finalement arrivé à Paris en 2014 ; je l’ai rencontré quelques mois après son arrivée, en 2015.

Une des premières phrases qu’il m’ait dite est « I love green movies » : ça m’a beaucoup marquée, et je suis restée longtemps avec lui pour en discuter. Il classe les films par couleur ; les films verts sont des films dans lesquels la nature a un rôle principal, où on peut entendre du vent, des oiseaux… C’est ce qui a guidé l’écriture sonore du film : je voulais faire un film vert, dans lequel on puisse entendre le rapport d’Hossein aux éléments naturels qui l’ont accompagné sur sa route, mais aussi un film qui développe une narration sonore indépendante par rapport aux images, et auto-suffisante.

Hossein m’avait aussi parlé de ses rêves, de ses souvenirs de Sarah, la femme qu’il aimait et qui est restée en Iran. Pour lui, tout le monde est aveugle de manière égale dans le sommeil, car les yeux sont fermés et laissent place à l’imagination. Il dit que l’imagination des aveugles n’est pas sans images ; c’est évidemment paradoxal, puisqu’il est aveugle de naissance et n’a jamais perçu la lumière. Il a en fait construit des « images mentales » en modelant des impressions liées à ses autres sens ; le vert par exemple est rattaché pour lui à une émotion particulière, celle qu’il ressent en entendant un oiseau chanter, ou en sentant l’odeur d’un arbre. Il y a pour lui des films verts, des gens verts…

C’est sûrement pour ça que cette voix donne un peu l’impression d’un « recueil » : au montage, c’était comme un grand puzzle sonore avec une parole organisée autour des questions que j’avais posées à Hossein, et on a essayé de reconstituer dans un premier temps la narration du voyage, et ensuite la description des « images mentales » et des rêves et souvenirs d’Hossein. En fait, on a passé avec Pierrick la plus grande partie du montage à travailler le son : comme l’image avait été très écrite avant le tournage, le montage image s’est fait assez rapidement, ce qui nous a laissé le temps de travailler sur la création sonore et le rythme du récit, qui passe avant tout par la voix.

 

Discussion avec Amélie Barbier et Louis Juigner