Islam et sexualité dans la programmation du FIPA 2017
par Sara El Rhazoui
Rêver un monde meilleur, élargir notre horizon intellectuel, prendre de la distance par rapport à l’immédiateté que les médias sans cesse nous imposent ; le cinéma permet tout cela et bien plus encore. Pourtant, le FIPA cette année a fait la part belle à l’actualité brûlante à la limite du sensationnalisme.
Impossible ici comme ailleurs d’échapper aux interminables débats sur le sacrosaint Islam et son incompatibilité avec la sacro-sainte République française. Il faut croire que l’état d’urgence est partout, même la création artistique n’est pas épargnée.
La ville de Toulouse a été particulièrement mise à l’honneur avec deux films en relation avec l’affaire Mohamed Merah. Latifa, une femme dans la République de Jarmila Bukova qui a reçu le prix du public dresse le portrait de Latifa Ibn Ziaten, la mère d’Imad, le parachutiste de l’armée française qui a été assassiné par Mohammed Merah tandis que Quartiers Impopulaires de François Chilowics dresse celui du quartier du Mirail dont est issu Mohamed Merah. Pour ce dernier film, on s’attendait à découvrir une parole originale venant des habitants de ce quartier au lieu d’entendre parler en leur nom encore et encore, malheureusement c’est encore une fois le commentaire de l’auteur qui a pris le pas.
Parmi les films consacrés à des femmes de culture musulmane, héroïques résistantes au salafisme , c’est sans conteste Rien n’est pardonné de Vincent Coen et Guillaume Vandenbergue qui a soulevé le plus d’enthousiasme de la part du public même s’il n’a pas reçu de prix, à la surprise générale. Il faut dire que Zineb El Rhazoui, dont le film retrace le parcours de 2011 à 2016 était présente lors de la projection et que son irrésistible charisme n’a pas manqué son effet. Ça commence en 2011, lorsque Zineb était journaliste au Maroc et engagée au sein du mouvement du 20 février et se finit le 14 juillet 2016, date de l’attentat de Nice. Ce saut peut paraître saugrenu lorsqu’on ignore le parcours de cette femme qui a rejoint l’équipe de Charlie Hebdo en 2012 et a eu la chance de ne pas être présente dans les locaux du journal le 7 janvier 2015 et la malchance de vivre la tragique disparition de ses collègues et amis. Étant, « l’arabe » de Charlie et la co-auteure de la vie de Mahomet avec Charb, elle a fait l’objet de menaces de mort relayées des milliers de fois ce qui fait d’elle la femme la plus protégée de France. Le film se caractérise par une certaine confusion : on est touché par le courage et l’entêtement exceptionnels de cette femme mais on la perd dans de larges passages consacrés aux attentats du 13 novembre à Paris et du 14 juillet à Nice. On ne sait plus alors quel est le sujet et pour ma part, je trouve ça dommage. Je fais soudain l’usage de la première personne en raison du lien particulier que j’ai avec Zineb El Rhazoui. Il s’agit en effet de ma soeur ainée, et c’est sans doute pour cela que je n’ai pas partagé l’enthousiasme général face à ce film.
J’aurais aimé qu’il consacre davantage de place à son engagement féministe et à sa fine analyse de la religion musulmane qu’aux attentats. Je retiendrai donc un infime passage où Zineb fait référence avec humour aux 72 vierges que les hommes sont sensés trouver au paradis selon la religion musulmane. Elle s’interroge sur ce que nous les femmes allons y trouver et ce qu’il adviendra de nous si tous les hommes ont à leur disposition 72 vierges au physique parfait.
Ce questionnement traverse en effet deux autres films consacrés à la religion musulmane qui ont également été programmés au FIPA cette année.
Le premier, Dugma de Pål Refsdal nous plonge au coeur du quotidien de candidats au Djihad du front Al Nosra, branche syrienne d’Al Qaeda. L’une de leurs motivations principales pour commettre des attentats suicide : la garantie de trouver ces fameuses 72 vierges au paradis. Il est surprenant de voir à quel point ils sont enthousiastes face à la mort. L’absence de commentaire et la proximité de la caméra avec les personnages nous laisse un profond sentiment de malaise à la fin, faut-il applaudir se dit-on, comme on le fait traditionnellement à la fin d’une projection ? Pourtant, l’un des personnages rompt l’unanimité. Il se marie au cours du tournage et se met à hésiter face à la
perspective de faire subir son suicide à sa femme. Alors on s’interroge malicieusement : est-ce parce qu’il a enfin trouvé une partenaire sexuelle qu’il n’est plus si impatient de retrouver ses 72 vierges ?
Et plus largement, la frustration sexuelle généralisée est-elle l’une des causes principales du terrorisme ?
C’est précisément la problématique du remarquable film de Merzak Allouache, Tahqiq fel djennaqui a reçu le prix du meilleur documentaire de création au FIPA cette année. Autant par la forme résolument originale que par le fond, il a su pousser plus finement ce questionnement que tous les autres films consacrés à ce sujet. Il s’agit d’un film hybride entre fiction et documentaire. Le personnage principal est joué par une comédienne qui incarne une journaliste algérienne menant une enquête dans son pays sur la perception du paradis à partir de la vidéo d’un prédicateur wahhabite saoudien qui décrit les caractéristiques physiques des 72 vierges dans un langage quasiment pornographique. Le passé sanglant du terrorisme en Algérie est finement amené dans les parties fictionnelles avec deux autres personnages incarnés par des acteurs : le collègue et la mère de la journaliste. Le film se compose en majorité d’entretiens réels menés par cette comédienne/journaliste avec un panel très large de la population algérienne, et le résultat est assez effrayant : on se retrouve face à une pathologie sexuelle généralisée. Combien d’hommes sont prêts au djihad pour retrouver leurs 72 vierges ?
Vaste sujet d’étude pour les psychiatres et pour les cinéastes décidément tant on se dit que ce film était nécessaire. Mais nécessaire pour qui ? Pour le public français ou plutôt pour celui des pays musulmans où cette psychose sévit à tous les niveaux ? Malheureusement, vu la réalité de la diffusion, ces oeuvres seront majoritairement vues par un public européen mais celui-ci ne devrait-il pas d’abord balayer devant sa porte ? N’est-il pas regrettable de voir autant de propositions sur l’islam et aucune sur la montée des extrêmes droites en Europe qui constitue pourtant un problème tout aussi préoccupant en cette époque troublée que nous vivons ? Les islamistes et l’extrême droite européenne ne se retrouvent-ils pas sur l’oppression des femmes et des minorités sexuelles ? La marchandisation du corps des femmes dans les médias, la publicité et la pornographie n’est elle pas aussi grave que cette histoire de 72 vierges ?
Je souhaiterai donc conclure cet article sur ce qui a été pour moi le véritable bijou de ce FIPA 2017.
Il s’agit de l’eau sacrée d’Olivier Jourdain qui traite de l’éjaculation féminine au Rwanda. Ce film nous fait découvrir une tradition où le plaisir féminin est valorisé et mis à l’honneur, et résolument anti pornographique. Il nous fait entrevoir un monde meilleur avec plus de plaisir, élargit notre horizon sexuel et nous fait prendre de la distance avec les préoccupations actuelles. Ce film devrait être intégré dans les programmes d’éducation sexuelle et ferait autant de bien d’un côté de la Méditerranée que de l’autre. En attendant, la marchandisation du corps des femmes et la pornographie profane comme sacrée ont encore de longs jours devant elles.
Mais ne coupons pas nos petites lèvres, continuons le combat !