Le Droit au baiser est le quatrième film de Camille Ponsin. A travers un dispositif filmique simple de micro-trottoir, il va au contact de la population d’Istanbul. Avec ces jeunes femmes, ces jeunes hommes mais aussi un panel plus large des habitants stambouliotes, il aborde sans voile ni tabou le thème de la sexualité. Dans ce pays en évolution constante sur les questions de la condition féminine, le réalisateur nous offre à voir un film dont le mot d’ordre semble être : les clichés ne seront pas ceux que vous croyez.
Camille Ponsin a donc choisi un contact frontal avec la population stambouliote, sous la forme du micro-trottoir. Ce dispositif typique du journalisme permet bien souvent de passer facilement au travers de la difficulté récurrente du « généralisme ». Avec cette technique, le spectateur se rend vite compte qu’en réalité les clichés ne sont pas là où il pouvait les attendre. Les femmes interviewées, qu’elles soient jeunes ou plus vieilles, sont tour à tour offusquées des questions sexuelles qu’on leur pose ou prônent haut et fort (enfin, pas trop fort quand même car leur famille pourrait les entendre) leur liberté sexuelle. Il en est de même avec les hommes. On passe de jeunes hommes hyper conservateurs à une ancienne génération qui a semble-t-il décidé d’accepter la nouvelle position des femmes dans leur société. A travers cette accumulation d’entretiens pris sur le vif, dans la rue, on ressent l’ambiance de ce pays en mouvement, en évolution perpétuelle et où parler de sexualité est encore trop peu démocratisé. Mais là où la complexité du sujet commence, elle s’essouffle aussi vite. Le micro-trottoir a ses limites et on les ressent très vite. On aurait envie de rester avec certaines personnes interviewées dans la rue, de suivre leur chemin un peu plus longtemps. Certes le réalisateur nous explique qu’il a voulu marcher dans les pas de Pier Paolo Pasolini et son film Comizi d’amore. A l’époque, Pasolini partait lui-même à la rencontre de la jeunesse italienne pour débattre de la virginité, du mariage, du divorce … Mais là où Pasolini parvenait à faire apparaître une culture répressive dans le Nord et réprimée dans le Sud de l’Italie, Camille Ponsin nous offre seulement un large éventail des différents courants de pensée contemporains sur la sexualité des jeunes, et l’on comprend très vite qu’on ne trouvera pas ici les clichés attendus. On aurait envie que ce modèle pasolinien de « cinéma-vérité » dont s’inspire Camille Ponsin nous en dévoile plus et qu’il nous embarque finalement dans une chronique sexuelle de cette jeunesse turque, que ces entretiens ne soient que les préliminaires de ce qui pourrait suivre.
Et on aimerait croire tout au long du film que cela peut aller plus loin. Un point notamment le laisse présager : Camille Ponsin ne pose pas les questions lui- même. Il a demandé à des étudiants stambouliotes d’être « acteurs » du film et d’aller eux- mêmes à la rencontre de leurs compatriotes turcs. Il semble que ce sont eux les vrais personnages du film. Et ces personnages sont forts. C’est comme s’ils dévoilaient une part d’eux-mêmes en posant des questions intimes et dérangeantes. On arrive ainsi à capter au fur et à mesure une part de leur caractère. Mais est-ce suffisant ? Deux séquences nous emmènent en dehors de la rue. En forêt, Kaan ramasse des champignons et parle de sa dernière rupture amoureuse dont il a du mal à se remettre. Là, il est seul avec le réalisateur et la caméra. C’est un instant fragile, un moment simple où Kaan ne parle pas de sexe, mais d’amour, de ses propres amours. L’autre séquence se déroule dans un bar, où deux jeunes femmes revendiquent la même liberté sexuelle que les hommes. La séquence est courte, mais ce moment est néanmoins très précieux car nous sommes réellement avec elles. Elles ne sont pas surprises, elles ne cherchent pas à fuir loin de la caméra. Elles sont assises là, avec nous. Elles nous embarquent dans ce bar et on ne ressent plus la gêne d’être là et de poser des questions indiscrètes à des inconnus. Elles nous font partager leur moment.
Ce manque de profondeur dans le film peut aussi être perçu comme sa force. En interrogeant les gens à l’improviste, Camille Ponsin provoque la gêne, le doute, le sourire voire le rire offusqué. Il expose simplement mais intelligemment la situation actuelle. On passe alors un agréable moment avec les stambouliotes mais j’ose croire que le film aurait pu prendre une tournure plus « documentaire » en nous embarquant avec ses personnages que l’on a envie d’apprendre à connaître et d’écouter plus longtemps.
Clotilde Bertet