Biarritz, 23 janvier, beau temps.
Nous sommes arrivés en car depuis Marseille. À notre arrivée à Biarritz, nous découvrons les lieux du festival, les salles de cinéma, de cérémonie. Nous récupérons nos accréditations ainsi que la programmation des films. Commence alors la chasse : chacun épluche le programme à la recherche du, ou des films qui vont le transcender. Nous avons tous notre petit planning de films à voir avant la fin du festival. Ce planning bouge au cours de la semaine avec le bouche à oreille. Lors de mon épluchage personnel du programme, je tombe sur un sujet qui m’attire : « la Guerre d’Algérie ». Petite-fille et fille de Pied-Noir, depuis mon enfance j’entends parler de l’Algérie. J’ai su en grandissant qu’il y avait eu une guerre. Mais les souvenirs que me racontaient mes grands- parents et mon père étaient généralement heureux, nostalgiques d’un pays perdu. Puis, au fil des années, j’ai compris que la guerre avait laissé des marques indélébiles et qu’il était difficile d’en parler hors du cercle familial.
24 janvier, pluie.
C’est le grand jour, le jour du film sur la guerre d’Algérie. Jean-Paul Mari est là. Il présente brièvement le film et remercie ses partenaires pour leurs soutiens ainsi que tous ceux ayant participé à la création du film. La première chose qu’il dit est qu’il a été difficile de faire ce film puisque que personne ne voulait parler de cet évènement, la Bleuite. Cela fait 15 ans qu’il a ce projet de film en tête et il nous le présente aujourd’hui, le 24 janvier 2018. Il explique qu’à l’époque, il a essuyé de nombreux refus mais le projet a finalement pu voir le jour.
La séance commence dans la grande salle Atalaya de la Gare du Midi. Le film est composé d’images d’archives, de quelques photos, de dessins qui viennent compléter les trous de l’archive ainsi que des entretiens d’anciens combattants ayant connus la Bleuite. L’élément le plus présent du film est la voix-off de Jean-Paul Mari qui explique ce qui s’est passé, c’est un commentaire historique appuyé par tous les autres éléments du film. Dès le début du film, la voix off annonce que la Bleuite n’est pas présente dans les archives, il faut donc la mettre en scène de tout pièce pour essayer de retracer ce qui s’est passé. À la tête de l’opération Bleuite, on retrouve le capitaine Léger, personnage central du film puisqu’il est à l’origine de l’opération. Ce grand stratège militaire apparaît dans le film comme un pervers narcissique. Ses capacités mentales, ses facultés de manipulation ne sont pas discutables et l’opération Bleuite est une réussite pour l’armée française.
Les entretiens avec des anciens maquisards montrent à quelle point cet évènement demeure traumatisant dans les esprits. La méfiance et les tueries entraînées par la Bleuite sont encore présentes dans les esprits. Jean-Paul Mari a voulu mettre en lumière cette histoire et les rescapés qui sont près à en parler.
Ce n’est pas la première fois que Jean-Paul Mari parle de la Bleuite. Le 05 juillet 2012, à l’occasion des 50 ans de la fin de la Guerre d’Algérie, il publie un article dans l’OBS : Guerre d’Algérie : le poison de la « bleuite ». L’article portait déjà en lui la structure actuelle du film.
https://www.nouvelobs.com/monde/les-50-ans-de-la-fin-de-la-guerre-d-algerie/ 20120404.OBS5422/guerre-d-algerie-le-poison-de-la-bleuite.html
Jean-Paul Mari est un conteur. Dans l’article comme dans le film, c’est lui qui narre les évènements. Pourquoi alors ne pas s’arrêter à l’article de journal ? Selon moi, le film permet d’ancrer le discours dans un paysage, d’ancrer cette histoire dans un manque grâce au dispositif d’animation. Il montre qu’il manque des images, à l’image de cette mémoire à trou qui refuse de se souvenir. C’est aussi un moyen de donner la parole à quelqu’un d’autre que le journaliste, et permettre ainsi au spectateur de se placer à travers cette histoire.
J’ai été attiré par ce film parce que j’ai écrit un projet de documentaire en première année de Master. Je voulais faire un film d’animation témoin de l’histoire de mes grands-parents, une sorte de conte de leur vie avant de revenir en France. Le fait même de parler de ce projet était très compliqué pour moi. Mon père me disait que cette histoire était encore tabou, que je ne devais pas en parler si je ne voulais pas avoir de problème. Je ne le croyais pas. On était en 2017 quand même! Je voulais parler de l’Algérie sans parler des blessures. Je voulais aborder ces deux pays en esquivant au maximum le conflit. Mais il n’est pas possible d’enlever l’ombre de la guerre sur les rapports entre France et Algérie puisque tout n’a pas encore était dit, les blessures ne sont pas refermées.
Le discours de Jean-Paul Mari m’a donné envie de m’intéresser encore plus à cette histoire et de ne pas lâcher un projet qui pourra peut-être aboutir plus tard.
synopsis
La Bleuite, l’autre guerre d’Algérie de Jean-Paul Mari, 2017, produit par mano a mano, présenté en compétition dans la catégorie « Documentaire National »
La « Bleuite » est la plus grosse opération d’infiltration, de désinformation, et d’intoxication jamais montée par les services secrets militaires français contre l’appareil du FLN et de l’ALN, à Alger et dans tout le maquis rebelle. Seul à la manoeuvre, le capitaine Paul-Alain Léger, ne travaillant qu’avec des prisonniers retournés, va convaincre le terrible colonel Amirouche que son maquis est infiltré par des traîtres. Une opération diabolique et des milliers de morts.