Ce n’est pas un bilan très glorieux que de dire ça, mais : au bout de quatre jours au FIPA, mon film préféré, celui qui m’a à la fois touché, interpellé, consterné et provoqué des fous rires d’adolescent, c’est un court-métrage de trois minutes, projet d’études d’une jeune artiste et étudiante en audiovisuel.
Le dispositif ne pourrait être plus simple : un couple de cinquante ans sur un canapé, filmé frontalement et en plan fixe, avec quelques coupes presque invisibles. Le décor est celui du salon petit-bourgeois. ELLE (interprétée par Corinne Masiero avec un ravissant mélange de résignation et de dignité, assaisonné d’une charmante trace de vulgarité) fume une cigarette et raconte les mésaventures de LUI (Gérard Masiero) : accident de travail, opération, anesthésie mal tournée et depuis, il a une forme de syndrome de Tourette – il n’arrête plus de rigoler. C’est une histoire bien triste : sa mère à lui est morte récemment, les enfants ne supportent plus ce rire incessant ; quant à elle, elle fait des crises de dépression. Elle raconte tout cela d’un air laconique, tandis que son mari ne peut apporter que quelques commentaires affirmatifs – il est mort de rire.
Ça a l’air d’un sketch à la Monty Python. On rigole bien, tout en se demandant un peu pourquoi. Mais il y a quelque chose de plus profond et désagréable : un malaise aigu, la sensation d’assister à quelque chose de sinistre et d’un peu perfide. L’histoire absurde, le ton neutre sur lequel elle est racontée, le décor, les crises de folie du mari qu’elle ne semble plus remarquer : c’est une situation à la fois intime et obscène. D’y assister fait de nous des voyeurs et d’en être amusés, des voyous.
On peut lire le film comme une parodie d’une situation classique du cinéma documentaire engagé : le couple prolétaire ou petit-bourgeois dans le décor de son domicile ; la femme qui raconte la misère familiale ; le père de famille qui écoute de manière plus ou moins passive. Tourette et péroné révèle cette situation filmique comme une construction, une mise en scène de la misère, voyeuriste malgré elle.
Le succès du film repose sur la précision de tous ses éléments : un cadre très maîtrisé, un texte crédible en dépit de son caractère surréaliste, un jeu d’acteur sans faille. En sortant de la salle, le malaise se prolonge : est-ce vraiment une mise en scène ? Est-ce une blague, un jeu, une expérience psychologique, la reconstitution d’un cas authentique ? La force improbable du film est aussi due au fait qu’il ne nous livre aucun contexte.
Justine Pluvinage a fait des études de psychologie, ensuite de photographie et d’audiovisuel. Avec son travail, elle explore les limites entre fiction et réalité, les fissures par où entrent le grotesque et l’irrationnel. Derrière la façade du sketch un peu estudiantin, elle nous cache un cadeau empoisonné – un grand petit film.
Martin Lampprecht