On the left, L’histoire de la gauche israélienne de 1948 à 2013, Ron Cahili
» Quand il n’ y a personne, c’est mauvais signe ». Voilà en substance ce que mon père me disait lorsque pendant les grandes vacances, nous cherchions un endroit pour nous restaurer. Ce soir, bien installé avec mes camarades dans le grand auditorium à Bellevue, difficile de ne pas laisser siffler cet étrange conseil. Car cette grande salle est quasiment vide. Où sont partis tous ceux qui l’occupaient un peu plus tôt ? Pourquoi ne sont-ils pas restés ? La faute à l’heure ? À la météo ? La faute à la télé ou au ciné ? Heureusement, en ex-éternel adolescent qui se respecte, je n’ai jamais totalement écouté mon paternel. Alors ce soir, une fois de plus, je suis rentré. Les fois d’avant, j’avais pas regretté. Ils étaient combien au premier concert des Sex Pistols ? Et au dernier repas du Christ ? Et au prochain film d’ Artavazd Pelechian à votre avis ? Alors bon, roulez jeunesse !
Hébergé sous la bannière « création internationale », « On the left » est le premier épisode d’une série de quatre. Le projet est de dresser un portrait critique de l’histoire de la gauche israélienne sur une séquence allant de 1948 à 2013, et ce depuis le point de vue volontairement affirmé de Ron Cahili, israélien né dans un kibboutz en 1958. Ainsi, micro au poing en forme de gant de boxe, le réalisateur mène le film avec la véhémence d’un Michaël Moore sans matières grasses. En entremêlant entretiens des protagonistes des différentes époques, images d’archives et d’actualités, il travaille à forger une problématique brûlante, « comment Israël, créé par une population majoritairement à gauche est-il devenu un pays fier d’être majoritairement à droite ? « .
Piqué au vif, le spectateur ne peut que sauter dans ce film qui démarre tambour battant. Premier tronçon: 1948 – 1967. Le montage est rageur et rapide. Les plans s’enchaînent et s’agitent autour de la voix du réalisateur-narrateur. Les images sont fragiles, tremblantes, hétéroclites, certains diront qu’elles sont bourrées de défauts mais qu’importe, d’emblée on sent tout le chaos et la colère qui habite l’homme. Un sentiment d’urgence, un besoin de film que même quelqu’un ne parlant pas un mot d’anglais serait capable de saisir. Et l’on ne moufte pas, sous peine de perdre le fil.
Puis le rythme s’apaise. Sans pour autant taire ses intentions, Ron Cahili, par la nature de sa présence en est le catalyseur. Avec lui, nous partons vers les premières heures d’ Israël, à la rencontre des acteurs et des témoins de ce moment. La plupart sont militants. Le personnage de David Ben Gourion est bien entendu le point de convergence de beaucoup. Pour devenir ensuite le point de divergence, au gré de la relégation des idéaux de gauche et de sa prise du pouvoir. Les témoignages alternent avec des archives racontant Israël d’alors et ses alliés. L’URSS d’abord puis les Etats-Unis, soit là aussi, un virage saisissant puisque nous sommes en pleine guerre froide. Les échanges sont suffisamment clairs pour guider le néophyte mais également très denses.
La cohérence et la spécificité du film s’incarnent assez bien dans la façon dont Cahili s’embarrasse rarement des convenances. Homme de radio, il semble aborder son rapport au cadre avec une spontanéité tonitruante. Apparition, disparition, esquive, tout y passe et sans préméditation. Homme de contact, il connaît la musique des mots et le langage du corps. Habile, il désarçonne par sa rapidité d’adaptation, voire son sens de l’humour (Ben Gourion, son short kaki et ses yaourts, idole nationale qu’il moque tendrement). Opiniâtre, il muscle le ton et martèle ses questions pour bousculer ceux qui en « bousculèrent » d’autres ( « on a rasé le village avec des bulldozers et on s’est installé » affirme un protagoniste de la naissance d’un kibboutz par l’expulsion d’un hameau arabe). Durant 59 minutes, le leïtmotiv ne dévie pas d’un iota, dénouer les non-dits en détricotant un « roman national » et mettre les individus face aux contradictions qui, selon le réalisateur, s’insinuent entre la théorie et la pratique, la pensée et les actes. L’acmé de cette démarche est atteinte lorsque Cahili interpelle le créateur du kibboutz cité plus haut en lui demandant comment un homme s’estimant de gauche peut exproprier et coloniser la terre d’autres hommes ?
Bref, ce film accroche et questionne avec une telle générosité qu’on pardonne volontiers certains de ses travers. De plus, il apparaît d’autant plus précieux par son aspect critique. Critique d’un glissement politique et de sa perception du point de vue des militants comme de certains dirigeants, et d’une idéologie, le sionisme, terme dont il souligne l’infinie variété des définitions en Israël.
Débat qui nous renvoie au traitement médiatique de cette question en France. Et, en dernière analyse, à la relation que les représentants actuels de l’état français, de gauche, entretiennent avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, membre du Likoud.
Les épisodes suivants de cette série s’intéresseront peut-être à la question ! Souhaitons donc à cette série historique et atypique une occupation sans délai de nos écrans.