Peut-être est-ce la similitude du dispositif ( somme toute très classique) qui a fait rassembler dans une même séance le film de Giada Colagrande « Bob Wilson’s Life and Death of Marina Abramovic » et celui de Thierry Teston « La Cité de la Danse ».
Dans les deux documentaires, des entretiens alternent avec des séances de répétitions, de création d’un spectacle, et dressent en filigrane les portraits des personnages.
Dans le premier, les portraits des personnalités exceptionnelles du metteur en scène Robert Wilson, de l’artiste Marina Abramovic, de l’acteur Willem Dafoe et du musicien Antony Hegarty sont dressés, mais dans la perspective du spectacle en création, dans les interactions de ces personnalités pour faire oeuvre.
Dans des entretiens au dispositif simple et conventionnel ( plan poitrine, assis de face), chacun parle de l’autre, ou plutôt du travail de l’autre, du rapport à la création de l’autre. Cela pourrait devenir une série de congratulations croisées et interminables si les images du spectacle ne venaient pas donner corps à ces propos. Et quelles images! Ce n’est pas tant dans celles du film que la magie opère mais plutôt dans celles de la création théatrale elle-même. On connait le soin que Wilson accorde aux moindres des détails : costumes, maquillages, lumières. La réalisatrice a le mérite d’avoir laissé le spectacle parler de lui-même. En cadrant des plans de répétition presque toujours larges mais sans faire apparaître les bords de scène ni les coulisses, elle transforme le spectateur de cinéma en spectateur de théatre (sur un plateau élisabethain).
Alors est-ce une forme de modestie? La conscience d’un dispositif qui laisse la part belle à la création commune de quatre grands artistes? Ou une incapacité à renouveler le genre?
De son côté, Thierry Teston filme des danseurs de hip hop qui se frottent à des chorégraphes contemporains à Surennes pour le 20e anniversaire de son festival de hip hop …..Des premières rencontres à la représentation finale en passant par les répétitions , on assiste à la création. Dans cette progression, des portraits se dessinent dans lesquels on peut se rendre compte, par petites touches, de la manière dont les chorégraphes appréhendent la danse, mais surtout, on fait la rencontre des invdividualités sensibles que sont ces danseurs.
Bien sûr, le motif récurrent de la musique extra diégétique joue sur l’enthousiasme de nos âmes en manque d’exaltation.
Les ralentis extrêmement maîtrisés sur plusieurs danseurs appuient l’aspect performatif de ces corps qui séduisent (voire subjuguent) les gens ordinaires que nous sommes, pour qui s’étirer le matin relève d’une conscience profonde de son corps. A jouer la carte de l’esthétisme, le film de David LaChapelle « Rize » nous emmenait sur ce terrain avec beaucoup de maestria.
Les danseurs émouvants et émus (parfois jusqu’aux larmes) ne peuvent que … nous émouvoir.
Alors faut-il se lamenter du manque d’originalité de l’écriture? ou se réjouir de l’expérience collective vers l’art (de la danse) qui nous est proposée avec son pouvoir cathartique?
Pour ma part, l’octogénaire qui m’a prise à partie à la fin de la projection, les yeux rougis, pouvant à peine prononcer le mot « hip hop », suffit à me faire basculer.
Corinne Vicari