22ème FIPA
Présidente : Caroline Huppert ; Délégué général : Pierre-Henri Deleau
Site Web: http://www.fipa.tm.fr/fr/
4 étudiants de deuxième année du master pro ont participé au 22éme Festival International de Programmes Audiovisuels du 20 au 25 janvier 2009 à Biarritz. Ce festival est encore (peut être pour la dernière fois car Henri Deleau a annoncé son départ!) un lieu de rencontre privilégié avec les professionnels. Ainsi les étudiants peuvent se rendre compte des usages et des pratiques qui déterminent ce vaste champ de la télévision. La grande diversité des films projetéspropose aux spectateurs un aperçu général des formes développées aujourd’hui sur le petit écran. Cette année j’ai suivi particulièrement les sections « Documentaire de création » et « Grand reportage et faits de société ». J’ai été marqué par le courage des réalisateurs qui n’hésitent pas à passer plusieurs années dans des contextes difficiles pour construire un point de vue original et créatif sur le monde () ainsi que sur le travail admirable de réflexion sur notre Histoire revisité à partir des images d’archives (.
Justine Simon, étudiante en 2ème année, nous propose une analyse sur les films et les problématiques qui ont émergé au cours de ce 22ème festival du FIPA :
Depuis sa création le FIPA a pour ambition de présenter le meilleur de la production mondiale en matière de télévision. Ouvert aux professionnels et au public, le festival propose un large choix de films, de rencontres et d’évènements. Une compétition officielle mais également des débats sur l’actualité audiovisuelle, des séances de pitching pour les auteurs, réalisateurs et producteurs, une sélection de 400 programmes au Fipatel pour les journalistes, acheteurs et directeurs de festivals, la diffusion des productions d’écoles internationales, des courts-métrages, des films représentatifs de la situation de la création française et européenne, des soirées d’hommages,… L’occasion de découvrir des films inédits, de favoriser les échanges entre professionnels mais aussi les achats de films, afin que les programmes voyagent davantage hors de leurs frontières.
1 552 programmes émanant de 68 pays différents visionnés pour une sélection de 62 films en compétition. Cinq sections compétitives : séries et feuilletons, fictions, documentaires de création et essais, grands reportages et faits de société, musique et spectacle. Le jury se compose de 25 personnes de 19 pays différents, ils sont réalisateurs, compositeurs, écrivains, chefs d’orchestre, acteurs,…
Une richesse qui soulève néanmoins des questions quand on sait qu’en 22 ans d’existence, plus de 90 % des programmes primés au FIPA n’ont pas intéressé le service public et que la majorité des films proposés ne trouvent pas d’acheteurs et ne seront pas visibles dans les grilles de diffusion de la télévision. Quelles en sont les raisons ? Indifférence, désintérêt, manque d’audience,… Le festival du FIPA présente des films mais permet aussi de soulever des questions, de révéler les incertitudes, les attentes et les inquiétudes, en ces temps où la réforme pour la télévision publique vient d’entrer en application.
A propos des intentions et des constats de l’instigateur de l’évènement…
Pierre-Henri Deleau explique l’importance d’un tel festival et la situation de la télévision mondiale et des professionnels de l’audiovisuel. Il remarque par exemple que la production de documentaires se multiplie dans tous les pays pour des raisons de couts d’une part mais aussi parce qu’ils offrent un espace de liberté à la création. Cette année 365 documentaires français lui ont été proposés. Pierre-Henri Deleau parle d’une volonté de ré-ancrage de la fiction française dans la réalité. « Je sens qu’il y a une volonté d’essayer de retrouver le contact et de rendre compte du monde dans lequel nous vivons. » Le créateur du FIPA et de la quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes a conscience que la liberté n’est pas la même au cinéma qu’à la télévision. Les responsables des chaînes ont une tendance au formatage. Le FIPA veut pourtant proposer des programmes de qualité venant du monde entier et faire découvrir des auteurs mais contre 40 distributeurs français présents à Cannes, ici on s’adresse seulement à 6 ou 7 personnes entre chaînes publiques et privées françaises. De plus, en France la loi impose 60 % de créations européennes aux chaînes mais en réalité 58 % sont françaises et 2 % vaguement anglaises. Sur les 40 % restants, 39,9 % sont américaines. « Des fictions ou documentaires étrangers, sauf s’ils sont coproduits initialement en amont par une chaîne, ce qui peut arriver, ne passent pas. Je ne suis pas parvenu à briser ce mur de la commercialisation et j’en suis amer. » 288 programmes exclusifs seront présentés au Fipatel, issus de 38 pays différents, on attend 140 acheteurs des quatre coins de l’Europe et du Canada. Les anglais et les américains ne viennent pas acheter, eux ils vendent ! Mais le festival ne peut faire la preuve que les films seront vendus ou achetés, cette année il a perdu une subvention de 150 000 € et ne peut plus inviter les étudiants et éditer le quotidien Infos Fipa. « J’ai essayé, en télévision, de dégager de la pensée, du style, un ton, bref des auteurs, au milieu de quelque chose qui, comme le cinéma est une industrie. Mais à la télévision le mur est beaucoup plus résistant. »
Un spectateur, un parcours, un regard sur le festival…
Quand une étudiante formée aux métiers du film documentaire, jeune réalisatrice et assistante de production, découvre le FIPA, il en résulte un grand intérêt, des surprises et des déceptions.
La soirée d’inauguration est un défilé de costards et tenues chics, une majorité de personnes dans la fleure de l’âge se serrent la main et s’embrassent, c’est le temps des retrouvailles de la famille de la télévision qui regroupent réalisateurs, producteurs, diffuseurs, responsables d’organismes de soutien aux auteurs,… On voit un grand nombre de personnalités importantes. Le délégué général est habitué et ne perd pas son temps en discoure pour mieux nous présenter le film d’ouverture, un coup de cœur, Jacques Doniol-Valcroze, Les cahiers d’un cinéaste de Nicole D.-V. Berckmans. Première surprise. Ce film, d’une qualité plus que moyenne et sans intérêt esthétique, veut rendre un hommage et semble plus s’adresser aux proches présents dans la salle qu’au large public du FIPA. Les interviews, images et textes d’archives nous racontent la vie et la mort d’un homme de cinéma (un des fondateurs des Cahiers du cinéma, écrivain, cinéaste, comédien,…). Je me demande alors en quoi ce film est représentatif du festival, pourquoi il a été choisit, mais comprend vite qu’ici, il est aussi affaire de relationnel, de retrouver une époque disparu, cela au détriment de la qualité promise à laquelle je m’attendais en venant au FIPA. Fort heureusement ma deuxième journée s’annonce différente. Entre 9h30 et 21h30 je visionne 12 films d’une heure, en compétition dans les catégories documentaire, reportage et musique. Quel programme ! Le lendemain j’aurais besoin de sortir des salles en privilégiant les débats et rencontres, voir des films peut parfois être un travail épuisant ! Tous les sujets sont abordés, de l’évènement historique aux portraits de personnalités plus ou moins connus, de l’actualité du monde à l’histoire individuelle et quotidienne, des formes plastiques et expérimentales au traitement classique (archive, commentaire,…), des films qui passent inaperçues, d’autres qui font scandales, accusés même de propagande, des découvertes sur l’état du monde, les préoccupations des artistes, la relation filmeur-filmé,…
Je me questionne particulièrement sur les critères de sélection des films des catégories documentaire de création et reportage car la distinction n’est pas évidente pour un spectateur non- averti. Je constate que pour les professionnels non plus. La télévision range toute sorte de films dans la case documentaire en oubliant qu’on appelle documentaire une démarche qui privilégie l’expression d’un point de vue singulier à travers la construction d’un récit audiovisuel fondé sur une expérience du « réel ». Thierry Garrel dit du documentaire qu’il est « le lieu de nouvelles interrogations de l’homme par l’homme. Pas pour asseoir des certitudes mais pour reformuler à l’échelle de microcosmes humains les questions essentielles de la vie. » Mais la télévision se donne pour objectif premier d’informer, voire d’ « éduquer », et exige du documentaire qu’il soit informatif. C’est parce que la question de la communication l’emporte sur celle de la création que la télévision n’est plus capable d’assumer son rôle social de médiateur. On peut aussi se demander comment concilier une télévision de qualité qui soit en même temps populaire ? Une télévision qui prend les gens pour des gens intelligents, ce qui ne veut pas dire de ne pas les distraire. Le sujet est complexe car la télévision d’aujourd’hui est hybride, elle nécessite un apprentissage au niveau du contenu, du traitement, des intentions et de l’impact.
Du FIPA je retiendrais que le débat sur la création audiovisuelle est fortement présent mais difficile d’accès aux non-professionnels car il doit d’abord passer par une régulation entre les différents acteurs du champ culturel. Parmi les films et présentations auxquelles j’ai pu assister, je citerais certaines démarches de réalisateurs et de producteurs qui je l’espère verront le jour sur nos programmes prochainement. A noter : Rudolf Noureev, l’attraction céleste de Sonia Paramo (portrait du danseur); The Choir de Michael Davie ((une chorale dans une prison d’Afrique du Sud) ; Mémoire d’envol d’Eve Duchemin (la colombophilie, un sport entre tradition et modernité), Markus Raetz de Iwan Schumacher (portrait d’un plasticien-magicien), Atijat, pierwsza zona de Anna Blaszczyk (les relations conjugales en Afrique). Un rendez-vous à prendre à partir de janvier 2009 avec TLSP (l’union des télévisions locales de service public) et le GroupeGlactica (composé de dix sociétés de production) qui lancent une collection de documentaires nommée « A contre-temps ». Dans les Bouches-du-Rhône c’est sur les chaînes Canal Maritima et O2Zone TV que l’on pourra voir les dix portraits de personnalités marquantes de leur discipline et de leur époque, qui ne connaissent que trop rarement les honneurs médiatiques (Stéphane Hessel, Henri Alleg, Simone Weil, Michel Ciment,…). Une démarche novatrice en matière de production pour une série de films aux approches différentes en fonction des réalisateurs, une belle façon d’enrichir la pensée contemporaine.
A propos de la réforme pour la télévision publique…
« 18 jours sans pub…et alors ? » Débat proposé par la SCAM et la SACD (sociétés des auteurs) et animé par Pierre Bouteiller. Avec la participation de Patrice Duhamel (directeur général de France Télévisions), Gérard Mordillat (auteur et réalisateur), Christinne Miller (auteure, scénariste et présidente de la commission audiovisuelle de la SACD), Michèle Teulière (directeur général de l’agence Carat), Jean-Pierre Guérin (producteur et président de l’Union syndicale de la production audiovisuelle).
La télévision touche à tout, aux institutions (elle en est une parmi les plus grandes), à la politique, à l’information, à la création, aux divertissements, aux savoirs, à l’imaginaire, à toutes les choses de la vie privées et publiques et cela quelles que soient les générations. On ne s’en préoccupe donc pas à la légère. Extrait de la lettre adressée au président de la république par les auteurs : « Le service public joue un rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme de la production française de fiction, de documentaire, d’animation et de spectacle vivants. Nous nous trouvons donc à un instant décisif de l’avenir de France Télévision et de la création audiovisuelle française ».
Qu’en est-il exactement ? Débarrassée des contraintes de l’audience immédiate, France Télévisions va-t-elle nous proposer de nouveaux critères éditoriaux pour la fiction, le documentaire et l’information ? Comment cette nouvelle politique sera-t-elle perçue par les équipes et les dirigeants du service public ? Quels seront les nouveaux critères de mesure d’audience de France Télévisions qui restent une exigence des actuels décideurs ? Enfin et surtout, quels seront les véritables moyens financiers dont disposera la télévision publique ? Des questions posées lors du débat, des réponses difficiles à donner pour l’instant.
76 % des téléspectateurs pensent que la suppression de la pub est une bonne idée. L’audience n’a pas chutée et on remarque même une augmentation pour la deuxième partie de soirée à 22h15. France Télévisions prévoit de nouveaux programmes à 23h30-00h comme le « Ciné-club » sur France 3 mais annonce des difficultés budgétaires. En réalité nous avons peu de visibilité sur le potentiel de travail possible. Pour le moment, l’objectif d’investissement dans les œuvres a été respecté et Patrice Duhamel annonce qu’il est favorable à la prise de risque et à l’innovation. Mais en 2011 la suppression totale de la publicité risque de changer la donne pour le service public. L’Etat ne semble pas vouloir augmenter la redevance audiovisuelle (116 € actuellement alors que la moyenne européenne est de 161 €).
Le secrétaire général de l’UMP et son président (Messieurs Devedjian et Copé) trouvent qu’il y a beaucoup de chaînes publiques et suggèrent de faire « quelques privatisations » et des économies à France Télévisions. Le sénateur Jack Ralite rappelle que la loi à été imposée car appliquée sans vote préalable, cela est absolument anti-démocratique. Du jamais vu en Europe ni en Amérique du nord, c’est la première fois qu’un président d’un groupe de chaînes de télévision publique est nommé par le Chef de l’Etat. Ce projet de loi met en cause l’indépendance et l’autonomie des chaînes publiques. Concernant le financement, il est insuffisant de 2009 à fin 2011 : il faudrait 650 millions d’euros et l’Etat n’en apporte que 450 millions. De plus, il n’est pas pérenne et à partir de 2011 il faudra trouver un milliard d’euros (830 millions par la suppression de la publicité et 200 millions pour les programmes de remplacements de la publicité). Une augmentation de la redevance modulée selon les revenus s’annonce nécessaire car elle permet de financer 5 chaînes de télévision, 7 chaînes de radio et l’INA.
« Il faut faire confiance aux femmes et aux hommes qui assurent, avec conscience et professionnalisme, le service public et qui ne craignent pas l’inconnu mais redoutent à juste titre, les formes formatées, surtout par un Etat et un Président omniscients et omniprésents. Le contenu de la programmation doit-il être évoqué dans l’exposé des motifs de cette loi et dans le cahier des charges ? En effet, on ne peut que craindre, de la définition des programmes et des horaires par les dirigeants de l’Etat et des groupes. » (Jack Ralite) Le pluralisme est une nécessité en matière d’investissement. Il faut une variété décisionnelle si l’on veut une variété et une diversité de création. Tout système pyramidal est dangereux car il déresponsabilise ceux qui sont en bas de l’échelle.
Pour le sénateur les lois Sarkozy ont le défaut de traiter l’audiovisuel et les médias comme un monde fini. Le président veut une télévision pédagogique, culturelle, une télé-école s’adressant à des citoyens considérés comme des élèves, signifiant « réciproquement que la véritable école serait la télé » écrit le chercheur Pierre Musso. Ce dernier ajoute « c’est couper la représentation du monde en deux en opposant l’Etat grand éducateur au marché libre et divertissant. » Nous refusons cet « Etat surveillant général » de la consommation et de l’imaginaire populaire.
Pour ceux qui se demandent ce qu’il faudrait faire j’invite les lecteurs à lire les propositions faites par la RESPAIC (Responsabilité Publique de l’audiovisuel, de l’information et de la communication) et celles faites par la SCAM en réponse aux discours de Nicolas Sarkozy du 25 juin 2008.
Justine SIMON