Entretien avec le réalisateur Pierfrancesco Li Donni

LORO DI NAPOLI
di Pierfrancesco Li Donni

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À Naples, l’équipe de football Afro Napoli United est passée au niveau national, un rêve pour ses joueurs immigrés. Ils sont venus de Côte d’Ivoire, du Cap-Vert, du Sénégal et du Brésil, et n’ont pas de permis de séjour. Maxim est venu d’un pays en guerre. Adam, qui avait décroché de l’école, est gardien de but et barman. Apatride, Lello a laissé un fils derrière lui. Ils se débattent dans la jungle des lois italiennes sur l’immigration, aidés par leur coach, Antonio.

Dans ton film, tu arrives à rendre la densité des personnages, notamment en les filmant dans leur intimité. Comment as-tu construit ces relations ?

Tout d’abord, j’aime beaucoup travailler sur un style hybride, c’est à dire un mélange entre le documentaire et la fiction. J’aime dépasser le genre documentaire, abandonner l’idée de l’entretien et raconter la vie quotidienne des personnages.
Dans un premier temps, j’ai fait énormément d’observations. J’ai observé les personnages dans leur environnement naturel, en famille, dans les moments creux, dans leur quotidien et je me suis fait une idée des lieux.

J’ai beaucoup travaillé sur un personnage en le faisant participer et en laissant un autre personnage dans l’ignorance du résultat que je voulais obtenir. C’est quelque chose que j’ai beaucoup travaillé avec Adam et sa mère. Adam était souvent au courant de la direction que je voulais donner à la scène. Par exemple, quand il a su que le père d’un de ses amis avait été arrêté (au marché noir ndr), je lui ai proposé de provoquer sa mère, et de lui dire qu’il voulait aller vendre du parfum. Il a donc joué là-dessus, et sa mère, qui l’ignorait, agissait comme si Adam voulait vraiment aller vendre du parfum de contrefaçon.

Les Napolitains ont une forte présence scénique, ils ne sentent absolument pas la présence de la caméra. Ca a été un avantage et aussi une différence fondamentale entre Adam, Maxime et Antonio.
Maxime avait peur, il n’arrivait pas à soutenir le regard de la caméra. Mais Maxime est une personne d’une douceur et d’une délicatesse unique. Quand on a vu qu’il parlait tout le temps de sa mère, on lui a proposé d’écrire des lettres basées sur ses appels téléphoniques auxquels nous avions assisté. Ces appels ne fonctionnaient pas car il disait toujours à sa mère « maman, je suis avec mes deux journalistes », et on ne pouvait donc pas l’intégrer au film.
On a choisi de romancer en ajoutant des détails aux lettres et en demandant à Maxime de les lire.
Nous lui avons fait lire les lettres en français car nous pensions que cela pouvait être utile en vue d’une distribution internationale du film, sachant que le France était un pays où le film serait bien accueilli ou en tout cas qu’on arriverait à intéresser le public français.

lien à une clip de Loro di Napoli (Maxim): https://vimeo.com/149646153

Le film traite de plusieurs situations complexes : l’accès à une situation administrative en règle pour des personnes irrégulières, la situation des apatrides, le rapport au pays d’origine, à la mère… Comment as-tu construit la narration et tissé une histoire autour des différents enjeux qui composent le film ?

Nous avons fait un travail très long parce que nous voulions faire un documentaire d’observation qui s’écrirait au montage et qui comporterait des éléments de fiction. Nous tournions à Naples une fois par mois. Nous avions un avantage : l’histoire avait un début et une fin, le début du championnat, ou la préparation au championnat, et la fin du championnat. La chance était de notre côté puisque l’Afro-Napoli a fini par gagner.

Nous avons tourné pendant deux ans en suivant d’abord le cours naturel de l’année, puis, la deuxième année, en travaillant surtout l’histoire de Lello. Nous avons ensuite mélangé les deux et bâti le scénario autour de ce mélange.

Au début, nous avions surtout soigné la partie sur la bureaucratie. En effet, j’ai tendance à affronter un thème du point de vue politique. Cependant, cela ne suffisait pas car ce thème s’épuise dans la première partie du film. Ca a donc été un véritable enjeu que de créer ce mélange entre la vie des personnages et le thème de la bureaucratie. A un moment dans le film, le sujet de bureaucratie disparait mais il est relancé subitement, alors que le spectateur le pensait résolu. On se demande alors : et Lello ? Ou en est sa situation ? C’est alors qu’est introduit une nouvelle problématique : être apatride et ne pas avoir de papiers ; et avec elle, toute la complexité amenée par la petite amie de Lello qui, bien qu’étant étrangère, a des papiers, alors que lui, né sur le sol italien, n’en a pas.

Tu as filmé des scènes entre l’entraineur de l’équipe de l’Afro-Napoli, qui tente de régulariser la situation administrative de ses joueurs, et le personnel de l’administration. Comment as-tu eu accès aux institutions que tu as filmé ?

Nous avons réussi à entrer car nous avons créé une relation avec le président de la Fédération de football. La première fois que nous sommes entrés à la Fédération, nous n’avions aucune autorisation et ils ont appelé la police car ils pensaient que nous étions en train de faire un scoop, un scandale. Puis, ils ont compris que notre film était un film positif sur l’Afro-Napoli et le fait de raconter une histoire positive, même si les difficultés et la complexité ressortent, facilite beaucoup et permet de créer une relation.
Lorsque nous avons reconstruit cette scène (entre le président de la Fédération et l’entraineur de l’équipe, ndr), j’ai propos » un point de départ et un point d’arrivée. Je leur proposait alors d’aborder un argument à la façon qu’ils voulaient, mais en dix minutes. Je pouvais faire plusieurs prises, faire répéter une scène, mais à condition que se manifeste le naturel.

La ville de Naples traverse le film en filigrane. On perçoit une ville complexe, qui a un impact important sur la vie des personnages. Quel est ton rapport à cette ville ?

Je pense que Naples est une ville à laquelle un documentariste italien ne peut pas se soustraire, surtout s’il vient du sud de l’Italie et s’il est lié aux racines de son pays.
Naples est un de ces lieux encore authentique en Italie, il reflète la complexité du pays. Se confronter à ce monde enrichit le documentaire. C’est une ville difficile, passionnelle, une ville où la réalité de l’intégration est différente du reste du pays.  A Naples, les Noirs ne sont pas les premiers problèmes. Les problèmes sociaux sont autre part : la délinquance, la petite criminalité, la Camorra (mafia napolitaine ndr).
Naples est une ville très difficile mais c’est une ville qui te permet, si tu y arrives, d’aller au fond des choses et le comprendre vraiment.

Propos recueillis par Marta Anatra et Florence Chirié

extrait d’un autre documentaire realisé par Piero Li Donni à Naples pour la television Tele2000: