Violée à 15 ans, Hind a été chassée de sa famille. Sans identité car ses parents refusent de lui donner ses papiers, la jeune femme de 22 ans vit en marge de la société marocaine : elle danse dans des mariages, se prostitue parfois. Hind a déjà eu plusieurs enfants dont elle n’a pu s’occuper ; contrainte d’aller en prison car suspectée de « délit de prostitution », elle a confié le dernier à une autre femme.
Malgré tout Hind aspire à une vie meilleure, elle se débat tout au long du film pour renouer avec sa famille, se marier avec son petit-ami, retrouver ses papiers et déclarer ses enfants, qui sans documents officiels devraient suivre la même voie qu’elle…
Dance of the outlaws nous dévoile la condition terrible de ces jeunes filles, déchues de leur identité et de leur famille qui les rejette après qu’elles aient été violées. Mais plus encore, le documentaire est un grand film, à l’héroïne magnifique : Hind, le visage dur, beau et singulier, perce l’écran de sa force vitale, qui la pousse sans cesse à secouer les barrières qui la maintiennent dans sa non-existence. Lorsque, convaincue par son petit-ami de renouer avec sa famille, Hind embarque l’équipe de tournage sur le chemin de la maison familiale, le plan séquence est fulgurant : Hind est tendue, elle craint son frère menaçant et lui crie de ne pas l’approcher, ses sœurs en pleurs sautent dans ses bras pour lui dire que personne ne lui fera du mal, puis Hind saisit son père, tout étonné par la présence de la caméra, et l’embrasse de toute ses forces.
Mohamed El Aboudi, le réalisateur, nous emmène au cœur des tensions. Son travail de cinéaste est remarquable, on le comprend vite, il n’hésite pas faire jouer leur propre vie à ses personnages lors de certaines scènes. Cette mise en scène, l’image très travaillée qui sublime le visage et les mouvements (la danse) de la jeune femme, lui permettent de donner toute sa force à la parole écorchée de Hind, aux nœuds dramatiques qui ponctuent le film.
Bien que très construit, le film n’en reste pas moins documentaire : le travail du réalisateur et de son équipe influe sur le réel, prend part à l’histoire. Au début du film, à l’issue de la scène de retrouvailles avec sa famille, qui semble maintenant réconciliée et apaisée, un carton nous apprend que la famille se donnait bonne figure devant la caméra, et que Hind ne put récupérer ses papiers d’identité. Quelques saisons plus tard (le film est découpé selon cette chronologie), on retrouve Hind, toujours sans papiers, seule et à nouveau enceinte. Pour la première fois dans le film, elle parle au réalisateur, face caméra. Elle raconte son épuisement dans un long monologue filmé en cadre fixe, le plan est bouleversant.
« Dance of the outlaws », hors compétition au FIPA (catégorie Création Européenne) est le plus beau film que j’ai pu voir durant le festival.
Jean-Baptiste Mées