Il chante enfin sur Biarritz
Le 25 Janvier 2014, en direct du FIPA.
Après quatre jours de tempête pluvieuse, tant sur la ville que sur la programmation du festival ; le vent, la pluie et la grêle sont finalement tombés.
Cette année la grande question au cœur du débat semblait être « Comment déformater le documentaire télévisuel ? ». Un sujet de circonstance puisque dès le premier soir du festival nous fûmes mis dans l’ambiance par la charmante présentatrice de la cérémonie d’ouverture, dont la verve ressemblait à s’y méprendre à celle de Claire Chazal durant le 20 heures.
Puis durant la semaine, nous assistâmes à diverses projections, pour ma part essentiellement documentaires. Dans tous ces films les sujets étaient intéressants, les personnages attachants et les images de qualité, mais tous laissaient aussi la désagréable impression d’une forme très convenue et bien trop « léchée ».
Le très entraînant Art War par exemple, dont les rythmes hip-hop nous embarquaient au coeur des révolutions égyptiennes, était très bien mais aurait été parfait avec un tantinet moins d’artifices. L’émouvant Alfred et Jakobine, racontant l’incroyable périple d’un couple nous redonne presque foi en l’amour, mais aurait vraiment gagné en émotion avec des cadres moins carrés et des interviews plus spontanées. Enfin Les garçons de Rollin nous offre un angle d’attaque très prometteur sur la période 39-45, en s’intéressant aux destins de différents garçons d’une même classe, mais ne parvient finalement pas à nous proposer plus qu’un regard très manichéen sur l’ensemble des personnages, nous laissant déçus et avec la sensation confortable et amère de s’être assoupi devant France 3 un soir de pluie.
La très professionnelle présentatrice du festival nous dirait à cet instant précis que cette liste n’est pas exhaustive, et effectivement elle ne l’est pas, puisqu’il y avait encore nombre d’autres films que je ne citerai pas. Et notamment, noyés dans ce panel télévisuel, quelques-uns dont le sujet était tout aussi passionnant que les précédents, mais qui trouvaient une expression formelle beaucoup plus originale. Parmi eux, on retiendra essentiellement Le droit au baiser de Camille Ponsin et l’étonnant Chante ton bac d’abord, de David André.
Ce dernier est en fait une proposition d’un genre nouveau, à la fois documentaire social et film musical, il raconte l’histoire a priori assez banale d’une bande d’amis de dix-sept ans, durant l’année du Bac. A l’heure où ils se voudraient pleinement insouciants, Gaëlle, Caroline, Nicolas, Alex, Rachel et les autres sont confrontés à des choix d’orientation qui seront déterminants pour leur avenir professionnel, comme leurs parents n’ont de cesse de le leur rappeler. Les parents, justement, ont eux aussi la parole dans ce film, et nous dépeignent par la diversité de leur métiers un tableau assez complet du climat économique de cette ville portuaire touchée par la désindustrialisation qu’est Boulogne-sur-Mer.
La narratrice de l’histoire, Gaëlle, est une charmante brune, ni trop lisse ni trop rebelle, drôle mais pas prétentieuse, bref, un personnage à laquelle on peut tous s’identifier. C’est elle qui est le pilote du film, elle porte un regard à la fois bienveillant et assez objectif sur ses amis ainsi que sur ses parents. Les autres protagonistes, sont touchants par leur personnalité hilarante et grave à la fois. Les rôles sont si bien répartis entre les personnages qu’ils en paraissent presque écrits pour une série, mais échappent totalement aux clichés que l’on attend. Les jeunes adultes piercés et aux cheveux colorés qu’on imagine potentiellement être des stéréotypes de rebelles en pleine crise d’adolescence, s’avèrent en fait être de gentils enfants, proches de leurs parents et n’ayant absolument pas honte de leur démontrer leur affection. Les parents eux aussi ont chacun une personnalité bien marquée, et leur inquiétude vis à vis de l’avenir de leur progéniture n’est jamais générale mais émouvante et propre à leur vécu.
L’aspect comédie musicale du film, qui pourrait en rebuter plus d’un, est en fait d’un ton très juste et apporte de brefs moments d’évasion qui permettent de prendre plus de recul sur les tourments des jeunes protagonistes. Les chansons ont été écrites par le réalisateur avec les adolescents, les paroles sont très simples, parfois presque trop, mais on se rend finalement compte que c’est cette simplicité qui empêche le film de basculer vers la fiction et la sur-scénarisation. L’instant de la chanson ne tombe pas dans l’acte, mais offre en fait une lecture documentarisante sur la poésie et l’interprétation des personnages.
Le rythme est fluide et limpide, les chansons et la voix off de l’héroïne – elle aussi simple et légère – apportent au film innocence et gravité, tout en aidant à combler les manques qu’il y aurait pu avoir dans l’histoire, et que l’on ne ressent à aucun moment. Les scènes tournées façon cinéma direct au cœur du lycée, entre parents et conseiller d’orientation, sont elles, pleines d’humour. Enfin, des passages d’interviews très classiques, qui pourraient paraître un peu inappropriés dans ce montage très cohésif, convainquent finalement de leur nécessité, en nous ramenant à la réalité entre deux chansons pour nous ancrer pleinement dans le documentaire.
La dernière chanson s’achevant pour laisser place au générique de fin, une salve d’applaudissement bien méritées résonna dans la grande salle de projection du Casino, et la lumière rallumée révéla les visages des spectateurs émus et souriants.
Le soir même, à la cérémonie de clôture, Chante ton bac d’abord rafla le FIPA d’Or dans la catégorie documentaire de création, un prix qui fut décerné en chanson par le jury.
Ce film hybride a bel et bien su convaincre, par son originalité sans prétention, et sera, pour votre plus grand plaisir, prochainement diffusé sur France 2.
Bref, qui a dit que le documentaire télé était formaté ?