Mehdi Zion
« Pourquoi la vie est si belle ici?
Je sais pas. »
C’est lors du 30ème FIPA que la réalisatrice Islandaise Karna Sigurdardottir à choisi de venir présenter son film documentaire 690 Vopnafjörour.
Au beau milieu du nulle part islandais, les 645 habitants de Vopnafjorour vaquent à leurs activités. Divisés, mais aussi rassemblés par de vives disputes à propos de football ou de politique, les villageois s’épanouissent à la moindre dissension. Le film se concentre sur les petits drames quotidiens et sur le rapport profond qui unit les habitants à leur fjord. Mais ce sont les liens sociaux qui poussent les gens à rester ou à quitter un endroit de ce type, et le spectre de l’exode rural est omniprésent.
Loin d’être exotique, ce film est un miroir urbain. J’ai, moi aussi, délaissé mon village pour vivre et étudier dans une ville plus grande, qui elle, perd son identité pour ressembler à n’importe quelle métropole du monde. Varsovie, Paris, Barcelone, Bruxelles, Marseille, le dépaysement est de plus en plus difficile. Mais là n’est pas la question. L’oeil de Sebastian Ziegler (le chef opérateur) se focalise sur ceux qui restent.
Dans ce film chorale où les plans fixes se succèdent, nous rencontrons les quelques jeunes voisins qui ont fait le choix de revenir vivre ici après leurs études, et qui tentent de s’organiser politiquement. Les ainés évoquent leurs inquiétudes sur la démographie qui n’emplie pas, la dernière policière du village philosophe sur l’altruisme, un vieux pêcheur de baleine regrette le manque de transmission de son savoir.
Le montage rend compte de l’expérience de vie dans ce fjord. Le traitement sonore est une clef pour infiltrer les espaces individuels et collectifs : une cuisine avec en fond sonore la radio locale nous amène dans le studio où l’on découvre le chroniqueur au travail. Les cours de chant d’une jeune fille nous amène dans une maison de retraite pour la voir cette fois ci devant un public. Des voix sans identités précises témoignent tout au long du film. Les séquences s’enchainent et forment une réponse possible à la question qui ouvre le film. Personne ne sait pourquoi la vie est si belle ici, mais tous ont leur raison d’être encore un acteur de cette petite commune.
J’aurais pu sortir de la salle de cinéma rempli d’un sentiment léger, conscient que l’ailleurs est similaire, avec de beaux paysages en plus.
Mais le moment qui m’en a empêché est celui qui aborde le sujet du travail. Dans ce fjord, l’emploi est donné par la mer. La pêche est saisonnière, et toute la chaine d’exploitation s’est accordée à ce rythme. Les usines embauchent de Juillet à Octobre, les habitants y travaillent 12h par jour. Les mois suivants, le temps s’arrête. Chacun reste chez soi, en attendant la prochaine saison. Toute la ville s’endort. C’est cette dimension du film qui m’a porté à réfléchir et le comparer avec un autre :
Je ne connais la région de la Scandinavie que par le cinéma. C’est le deuxième long métrage que je vois et qui fait le portrait de ces collectivités. Le premier était un film photographique réalisé par Chris Marker en 1966. Si j’avais 4 dromadaires, nous offre des clichés de part le monde, accompagné de commentaires sur les conditions de vie des différents peuples.
Les deux films ont plus de 50 ans d’écart mais le regard porté sur les Islandais reste assez similaire. « Tout ici est luxe, calme, et absence de volupté. Une population tranquille, reposée, reposante. Un conformisme sans agressivité, quelque chose d’éternellement neuf, d’éternellement verni, l’absence apparente de troubles profonds, de menaces précises, tout cela lisse, d’un peuple aimable et bien éduqué. Le chef d’oeuvre des sociétés humaines selon les critères de ce temps. Les rapports de productions y connaissent une harmonie probablement inégalée, et le prolétariat ne ressemble que d’assez loin à ce que nous avons coutume d’appeler ainsi. Une irrésistible densité de poésie dans l’air et un effort considérable d’éducation civique au sol, avec à portée de souffle la nature, la vraie, et par la dessus, les plus beaux paysages du monde.
Cet homme scandinave a tout. Vraiment tout ce que les 9/10ème de l’humanité n’osent même pas envisager dans leurs rêves les plus fous. C’est vers son niveau de vie que tendent l’arabe, le grec, le sibérien et même le milicien cubain. Il a tout ce que promettent les révolutions. Et quand on lui joue du Brecht gratuitement d’ailleurs, il ne perçoit vraiment pas le message. Alors qu’est ce qui leurs manquent ?
À mon avis pas grand chose, si ce n’est d’être immortel. En face de la disparition totale on devient drôlement exigeant. Il faut tout et tout de suite. Leur bonheur n’est pas suffisant pour combler une absence éternelle. Le léger ennui qui décolore la vie, on pourrait peut être l’accepter pour l’éternité, il a ses charmes, mais pas pour une vie, pas pour une seule vie. La petite monnaie du néant, c’est la passion. La perception scandinave offre un bonheur sans passion, et ça c’est pas le bonheur humain.»
Voix off de Chris Marker
En somme, 690 Vopnafjörour documente la vie d’habitants qui ne sont pas filmés pour leur personnalités mais pour ce qu’ils représentent au sein de cet ensemble plus global. Ce long métrage est une invitation à visiter une fourmilière, avant de revenir à la notre. Alors, pourquoi la vie est si belle chez nous ?