« Dance of the outlaws » de Mohammed el Aboudi, par Julian Ballester

Hind nʼexiste pas. A lʼâge de quinze ans, «coupable» dʼavoir été violée et dʼêtre tombée enceinte, elle a été chassée de chez elle par sa famille. Depuis elle vit dans la marginalité, sa famille refusant de lui rendre ses papiers dʼidentité. Comme lʼannonce le titre du film, Hind nʼest dès lors plus quʼune «hors-la-loi», et elle ne peut ni travailler, ni se loger, ni se marier… Pourtant, Hind refuse de se rendre et poursuit ses rêves malgré tout : rêves de retrouver une vie normale, de récupérer son enfant, de vivre sa vie de mère et de se marier avec Bilal qui la soutient au quotidien. Malgré quʼelle risque dʼy être battue, elle continue à retourner chez elle afin dʼy réclamer ses papiers, tandis que Bilal, lui, se retrouve en prison.

Avec sa caméra, Mohamed El Aboudi suit Hind dans sa lutte permanente pour exister. La jeune fille, qui a désormais 22 ans, se livre entièrement au réalisateur à qui elle confie quʼelle nʼa plus rien à perdre. On se rend compte quʼau sein de cette relation, plus que jamais la caméra est un véritable protagoniste du film documentaire. La caméra est prise à témoin, mais surtout elle participe à la lutte, voire même la favorise. Devant la caméra, la famille dʼHind devient aimable, presque accueillante, et il nʼest plus du tout question de battre la jeune fille. De même, après sʼêtre rendue à la mairie, un carton nous apprend que les papiers obtenus ce jour là nʼauraient pas pu être faits aussi rapidement sans la présence de la caméra. La caméra de Mohamed El Aboudi est un outil de militantisme, une arme dans la lutte incessante dʼHind, un objet protecteur pour la jeune fille.

Mais la caméra nʼest pas seulement là pour lutter aux côtés dʼHind, elle est aussi présente pour magnifier cette jeune femme. Mohamed El Aboudi cadre souvent au plus près le visage de son personnage. Celui-ci, malgré ses vingt-deux ans, est profondément marqué par le poids des épreuves, mais il est également dʼune beauté bouleversante. Ce visage possède une extrême expressivité, un charisme saisissant. Sans jamais tomber dans les travers dʼune éventuelle «esthétisation de la misère», El Aboudi vient réhausser cette femme au rang dʼicône de la lutte de toutes ces femmes que lʼon a jugé «déshonorées». Danseuse dans les mariages, prostituée occasionelle, Hind ne peut quʼexercer que des métiers méprisés, mais le réalisateur nʼhésite pas pour autant à filmer au plus près de son corps lorsquʼelle danse. Du reste, la photographie du film est haute en couleur, elle est belle et maitrisée, le récit use de constructions et de ressorts narratifs très fictionnels, et tout cela contribue à faire de lʼhistoire dʼHind quelque chose allant au delà de son propre malheur, quelque chose ayant à voir avec lʼhistoire dʼune grande lutte collective.

Chaque conte, aussi noir soit il, possède son lot dʼadjuvants, dʼopposants, dʼobjets. Pour Hind, jeune fille chassée par sa famille et qui attend la sortie de prison de son prince charmant, la caméra remplit ce rôle dʼadjuvant aidant la jeune héroïne dans la quête quʼelle a entrepris. Ce documentaire est au final un conte, moderne et cruel.

Julian Ballester