Un autre point de vue sur le film « Vierzehn », par Julian Ballester

Cʼest lʼhistoire dʼune jeune fille «ordinaire», selon les mots de la réalisatrice. Marisa Middleton a choisi Lili et la famille Alves pour nous parler de cette période du début de lʼadolescence, celle des quatorze ans. Comme toutes les jeunes filles de son âge, Lili joue et commence à sortir avec ses copines, sʼintéresse de plus en plus aux garçons, et sʼengueule souvent avec sa mère qui aimerait la voir grandir moins vite. De ces quatorze ans, on retient deux choses : le moment de la découverte du désir dʼune part, celui des premiers copains, des romans érotiques que Lili vole et lit discrètement, et le rapport fascinant dʼune jeune fille à sa mère dʼautre part.

Le film est bâti autour de séquences extrêmement (re)construites, alternativement dans et hors de la famille. Il y a donc deux espaces dans ce film, la maison et le dehors. La réalisatrice évolue avec aisance au sein de ces différents lieux, au milieu de tout les petits événements qui construisent Lili. Elle est à lʼaise dans cette famille, et elle a trouvé une distance savamment dosée lui permettant de se frayer sans difficulté un chemin vers lʼintimité de Lili. Le film est en effet ponctué de vidéos où Lili et ses amies se filment au téléphone portable, de petits coups de gueule poussés par Lili devant sa webcam, et la réalisatrice nous emmène jusque derrière lʼépaule de la jeune fille en plein face à face avec son livre de littérature érotique volé la veille.

Lʼaisance de la réalisatrice au milieu de cette famille, cʼest aussi la manière dont les séquences sont mises en scènes : des séquences très écrites, scénarisées, découpées, éclairées. Lʼaisance technique également, dʼune image extrêmement maitrisée, dʼune esthétique très proche de celle répondant aux canons du téléfilm. Le dispositif employé nous laisse imaginer à quel point la chambre de la jeune fille ou la salle à manger de la famille sont devenus de véritables plateaux de fiction télé.

Et au final, cʼest très paradoxalement l’extrême propreté de ce film qui laisse un goût amer en sortant de la salle. Le film est trop propre pour une jeune fille et une période de la vie aussi bouillonnante. Ce ne sont pas tellement les champs-contre champs, les faux effets de simultanéité de lʼaction, lʼéclairage ou le découpage des scènes, qui posent problème, mais plutôt lʼesthétique générale du film (aussi cohérente soit-elle). Cette esthétique générale qui se dégage, plus kitsch que belle, soulève la question de la limite de lʼhybridation entre documentaire et fiction. Dans ce domaine, Marisa Middelton a sans doute passé un point de non retour, et on se demande dʼoù vient ce besoin, cette nécessité de vouloir copier à ce point les conventions à la fois de la fiction la plus basique et de la télévision.

Du coup, le film pèche par le gouffre qui sépare la démarche de la manière de faire. Dès lors, on ne sait plus trop quoi penser de ces images (pourtant tellement riches) filmées au téléphone ou à la webcam par Lili elle même. On se demande si, pour la réalisatrice, ces images nʼinterviennent finalement que comme des cautions documentaires, venant rappeler un réel brut à la rescousse dʼun film qui fait le grand écart.

Après la projection, on sort avec le sentiment quʼon aurait préféré voir, plutôt quʼun documentaire complexé, une fiction assumée. Une fiction dans laquelle la famille Alves jouerait son propre rôle, celui dʼune famille ordinaire, qui voit grandir une jeune fille ordinaire.

Julian Ballester