Maternité Secrète

Rencontre avec Sophie Brédier,
réalisatrice de « Maternité Secrète »

 

« Le documentaire est un endroit magique. »

« Je ne fais pas tant de distinction entre le documentaire et la fiction. Quand ça mord, le documentaire, on se rend compte que c’est l’espace où tout est possible, on peut quand même tout écrire, expérimenter de nombreuses formes d’écriture.

J’ai énormément travaillé en amont du tournage. Ce sont les conditions du tournage qui amènent à des films. Enfin, c’est Jacques Rivette qui disait qu’un film c’était l’histoire de son tournage. Et j’y pensais tout le temps sur celui là. Je filme assez peu, je tord le réel, je donne les conditions pour que les choses adviennent. J’ai vraiment laissé libre court à une forme d’improvisation. Le côté magique du documentaire ou du cinéma était possible.Comme c’était un huis-clos, toutes les pépites et ce qui pouvait se passer, c’était dans la relation. Donc ça commence dans l’escalier, avec Suzie qui demande « Est-ce que je peux descendre ? » et que je réponds « Mais oui ! ». C’est elle qui a totalement ré-orienté le film. C’est à partir de là que je me suis dis « Après tout, c’est leur château, elles en font ce qu’elles veulent. ». Et on a pris le château comme cour de récréation, on a joué dedans.Le premier cadeau, c’est de découvrir ce jardin des bébés. Il y a réellement cette histoire de mère qui vient demander où est son enfant. Au moment du traveling avec la pluie, y’a le bateau qui passe. C’est ça la magie.
Et d’un autre côté, c’est parce que vous êtes hyper préparé que quelque chose peut advenir.
Je dis souvent que le manque de chance est une faute professionnelle.
Quand on est plus jeune, plus expérimenté(e), on a besoin de contrôler pour se rassurer. Et bien là, j’ai laissé faire. C’est comme si les fantômes au dessus de cette histoire étaient remonté spontanément car j’étais prête à accueillir ça. Le côté magique c’est que j’ai toujours eu les réponses de ce que je cherchais. »

Le travail en équipe.

« Par exemple, pour la scène des jardiniers, c’est très physique, je les vois travailler, et puis c’est surtout cette machine à broyer qui je vois. Je dis à mon équipe « On va filmer ça ». J’ai pas le temps de dire que ça me fait penser que peut-être on détruisait des vies, j’ai pas le temps de leur expliquer la métaphore. Mais je ressens quelque chose qui fait que j’ai envie qu’on aille filmer là. Et quand ça se passe très bien avec une équipe, c’est parce qu’ils font confiance. Ils se disent « bon, on a peut-être pas tout compris, elle est peut-être un peu barrée, mais ça veut forcément dire quelque chose pour elle. »

Un bon technicien est quelqu’un qui épouse, a une forme de plasticité par rapport à la mise en scène du réalisateur.

J’avais toujours fait des films avec des équipes mixtes. Pour celui là, je savais que c’était une grave erreur d’être en tournage avec que des hommes, mais je n’ai pas pu faire autrement. Je n’avais jamais fait ça. Et ça s’est ressenti.
Dans le sens où…Pour que les femmes soient légitimes pour faire quelque chose, il faut toujours qu’elles aient fait toujours dix fois plus de preuves. Ça passe par des « Non », des « Non, ça ne va pas marcher. » Au premier tournage, l’un des technicien a coupé, il a dit « Coupé, non mais ça sonnait faux ». Ils avaient une idée, ils savaient mieux. Je pense que les femmes ont plus tendance à laisser une plus grande place au doute, à faire confiance et de prendre plus de recul. Mais petit à petit on a trouvé un espace de régulation. »

La question de la légitimité à filmer l’autre ?

« On se la pose constamment. Il y a une question d’éthique. Chacun(e) a la sienne. Je ne filme jamais une personne à son insu. C’est pour cette raison que ma façon de travailler est assez proche de la fiction. Les personnes filmées sont pleinement consentantes, elles sont parties prenantes de la mise en scène. Les personnes peuvent toujours dire non, refuser, sortir du cadre. Il n’y a pas une personne qui irait boire un verre d’eau sans savoir que je le filme. C’est pour ça aussi que, dans mes films, il y a un protocole de fiction : « Moteur, ça tourne, action ! » Et après, c’est « comment ».

Comment vous allez dire ce que vous voulez dire. Mais ceci est extrêmement subjectif. Comment vous filmez les personnes que vous filmez, comment vous menez la parole…Ce sont des préoccupations constantes, heureusement ! En revanche, je pense qu’on peut tout dire, tout faire, mais c’est le comment. Le vrai enjeu, c’est le comment. »

 

« Maternité secrète », par l’Histoire, fait écho aux problématiques d’aujourd’hui.
En faisant parler les murs d’un château emprunts de nombreux tabous et secrets, de nombreuses thématiques sont abordées : dont l’importance de pouvoir choisir sa maternité, de disposer de son corps et de son avenir, du droit au savoir. Sophie Brédier signe un film féministe.

Un parcours féministe ?

« Oui ! Avec une copine de lycée, on était bien féministes. J’ai beaucoup milité dans les années 90s. Je suis allée manifesté contre le projet de loi Devauquet en 1986. Et puis on allait sur les marchés, vendre des journaux, pour lutter contre le Front National. Et on s’est rendu compte que dans les groupes gauchistes, il y avait encore un fonctionnement machiste, patriarcal. Dans des réunions politiques, quand un mec parlait, tout le monde se taisait. Quand une femme parlait, on se permettait de lui couper la parole. On s’était regroupées en non-mixité : parfois on était bien 25-30 dans un petit appartement. On a monté ce groupe qui s’appelait les Marie Pas Claire.* Et ça avait fait un peu de bruit dans les années 90s car des femmes, comme Antoinette Fouque qui avait monté la maison d’édition Des Femmes, s’étaient pas mal intéressées à notre groupe. On était aussi là pour décoder notre conditionnement, jusque dans les détails. C’est presque une discipline. C’était dur de dire qu’on était féministes dans les années 90s. On se faisait traitées de mal baisées, de lesbiennes qui ne s’assumaient pas. Et savoir qu’on était plutôt majoritairement hétéro, jolies,..qu’on correspondait aux codes de beauté et normes sociétales, on cassait cette image hyper misogyne de la féministe. On avait cette insolence. C’était aussi une manière de dire « Maintenant vous arrêtez ! ».
Je suis très contente quand j’entends aujourd’hui des jeunes femmes dire qu’elles sont féministes. Ce n’est plus un gros mot. Et je suis très choquée quand une femme dit publiquement qu’elle n’est pas féministe. En ce moment il se passe des choses passionnantes.
J’ai l’impression aujourd’hui qu’il faut se méfier d’un machisme larvé. C’est à dire qu’il y a beaucoup d’hommes à peu près éduqués qui ont compris que le machisme que pratiquaient leurs pères et grands-pères était complétement vulgaire, ça va de soi d’être féministe ou de prendre la défense des femmes. Mais c’est par des petits détails qu’on comprend que c’est une façade. Qu’en fait, ils n’ont rien compris. C’est beaucoup plus sournois. Il y a quelque chose de mystérieux pour eux, faudrait qu’ils bossent aussi.
Il y a quelque chose de générationel dans le féminisme. Y’a quelque chose qui bouge.

On a fait bougé les choses, vous allez faire bouger les choses, nos filles feront bouger les choses, nos garçons aussi ! »

 

Longue vie au cinéma de Sophie Brédier !

Un grand merci pour avoir accepté de nous livrer précisions sur film et parcours.
On souhaite à Sophie Brédier que son film « Maternité Secrète » aille, symboliquement, au Festival de Films de Femmes de Créteil et du Val de Marne. On lui souhaite une belle avant-première du film à Paris, avec le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir.

 

Références évoquées :

Bande d’annonce de Maternité Secrète:

https://vimeo.com/237463865

Filmographie de la réalisatrice :

https://www.universcine.com/films/nos-traces-silencieuses

https://www.universcine.com/films/corps-etranger

Lieux et événements évoqués:

https://www.desfemmes.fr/ http://www.centre-simone-de-beauvoir.com/ http://filmsdefemmes.com/fr/ http://1libertaire.free.fr/MariePasClaire01.html

* «Marie Pas Claire»

Prénom : Marie
Nom : pas Claire
Née en : 1991 à : Paris
Signe astrologique : vierge ascendant sécateur
Sexe : à votre avis ….
Profession : agitatrice
Adresse : 86, boulevard des machos morts, 75 020 PARIS
Activités :
Publication d’une revue subversive
Animation d’une émission de radio subversive Participation à des manifestations subversives
Nature du délit :
Contrevenance à l’ordre hétéropatriacal
Incitation à la débauche
Outrage aux bonnes mœurs

Propos recueillis par Hortense Lemaitre,
Le vendredi 26 janvier 2018 au FIPA, Biarritz.