Alfred et Jakobine, par Samuel Albaric

Alfred et Jakobine

 En 1954, le bateau sur lequel travaille Alfred fait escale au Japon, ce dernier descend à terre et se saoule avec une jeune danoise, ils tombent amoureux et décident de faire le tour du monde.  Pour 80 dollars, le jeune couple achète un vieux taxi londonien et traverse les 5 continents. Jakobine est artiste, elle écrit, sculpte, prend des photos. Elle possède une caméra super 8 et enregistre le voyage comme si elle souhaitait documenter sa vie. Ils auront un fils, Niels, qui jouera plus tard un rôle dans l’histoire qui nous est racontée. Alfred, le mystérieux voyageur, quitte soudainement son épouse pour mener une vie solitaire au Nouveau Mexique. Il gardera cependant l’épave du taxi dans son jardin. Au seuil de sa vie, il décide de réparer la vieille voiture et de traverser les États Unis avec son fils pour rejoindre son ex-épouse et faire un dernier tour. A la fois road-movie et histoire d’amour, le film nous fait voyager à travers la complexité des relations qui unissent les personnages, la route marque la distance parcourue. Le vieux taxi cabossé avec lequel ils cheminent est à l’image de leur relation et l’énergie qu’ils dépensent à le réparer montre leur effort pour recoller les morceaux d’une histoire qui n’aurait peut-être jamais dû s’arrêter.

 Le cinéma documentaire semble parfois cantonné à raconter les grands mouvements politiques, artistiques, les conflits mondiaux, la place de chacun dans la société. Les auteurs sont évidemment en quête de sens dans un monde où ce dernier semble disparaître. « Je ne suis pas le réalisateur qui fait des films sur les guerres ou la politique, ce qui m’a intéressé, c’est de raconter cette histoire ». Et Jonathan Howells de nous rappeler par là, que sentir le monde vibrer c’est aussi être à l’écoute des sentiments, car ils expliquent autant que l’analyse ce que sont les femmes et les hommes à un instant de la durée. L’amour,  peu importe la forme qu’il prend, est à la fois une des expériences humaines les plus intenses et le révélateur des liens qui nous unissent.

 Comment décider de faire un documentaire d’amour ? Ce que nous dit Jonathan Howells, c’est que c’est impossible. Le film était prévu pour relater le voyage autour du monde d’Alfred et Jakobine dans un road movie d’archives, il devient l’histoire malheureuse d’un coeur brisé et d’un homme égoïste, car le réel a encore une fois été plus fort que l’imaginaire d’un auteur dont c’est le premier film. Les images d’archives ont été tournées soit par Alfred et Jakobine soit par n’importe quelle personne qu’ils rencontraient sur leur chemin, à la fois pour figurer ensemble sur les images, mais aussi pour témoigner un jour de leur histoire, comme s’il avaient attendu que quelqu’un s’en empare.

 Si le film relate l’histoire d’un long voyage il en a été de même pour le réalisateur. Entre la rencontre des personnages et le final cut il a fallu sept ans. Une distance sur laquelle beaucoup se seraient cassé les dents, c’est ce temps passé qui fait la force du film. Les histoires d’amour ont toujours un début, mais rarement de fin. Certes, les êtres se séparent mais est ce que cela signifie la fin ? Quand Alfred retrouve Jakobine à la fin du film elle nous dit qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer. Quelle femme n’a jamais rêvé d’être enlevée par un beau marin et de faire le tour du monde en sa compagnie, quel homme n’a jamais rêvé de tomber amoureux au premier instant ? C’est cette histoire qui nous est racontée, une histoire incroyable et pourtant vraie.