« 2000m2 mit garten », de Tama Tobias-Match, par Nicolas Waisfisch

2000m2 mit garten

Réalisé par Tama Tobias-Match, 2013

Dans les ruelles de la banlieue à Cologne, la jeune réalisatrice Tama Tobias-Match a repéré une grande villa centenaire dans laquelle vivent deux femmes, collectionneuses d’art contemporain. Le film propose une observation attentive et fantôme du train de vie de la villa. Il s’ouvre sur un long plan-séquence. La caméra qui est posée sur pied, enregistre un plan fixe de l’ensemble d’une salle à manger. Le cadre est disposé de telle sorte que la table se trouve au premier plan, tandis que dans la profondeur de champ, nos yeux et nos oreilles perçoivent les mouvements d’allées-venues de la ménagère, qui met la table pour le petit-déjeuner. Elle pose successivement les couverts, les assiettes, puis deux chandelles, annonçant l’arrivée des deux femmes propriétaires de la villa, dans le plan suivant.

Tama Tobias-Match utilise une caméra 16mm, qu’elle pose précisément dans différents lieux de la villa. Cette proposition esthétique rappelle l’essence du cinéma, avant les premiers découpages moderne de l’action. Et de fait, ce film semble avoir des intentions et une forme qui rappellent celles des frères Lumière. Durant la projection, je pensais par exemple au film « Partie de cartes ».

Par ailleurs, la jeune étudiante a conclu un marché avec les propriétaires pour entrer dans la villa. Elle réalise, pour elles, un film en mémoire de cette villa qu’elles vont quitter. On verra d’ailleurs quelques plans sur les gestes des déménageurs tout à la fin.

Par la longueur de ces plans fixes, la réalisatrice nous donne un temps pour ressentir l’atmosphère des différentes pièces, à travers les gestes quotidiens de la villa. Entre autres, il y a ces coups de plumeau que la femme de ménage répète sans cesse. A ce moment, nous ne portons pas uniquement attention aux tableaux et sculptures disposés dans la pièce, nous portons attention à la pièce elle-même. Chaque moment montré est un élément qui s’ajoute à une compréhension globale de ce que ce peut être « la vie dans la villa ».

Néanmoins, ce film a été écrit très précisément à l’avance. La réalisatrice avait préparé avant tournage chacun des plans qu’elle allait tourner. Elle dit avoir eu beaucoup de mal à s’imposer devant les propriétaires des lieux qui voulaient faire du film le leur. Une problématique classique lorsqu’on se lance dans la réalisation d’un film de commande. Par ailleurs, cela explique ce mode opératoire de « fiction » ramenant les personnes qui vivent réellement dans la villa à de simples modèles feignant d’être eux-même.

Le film n’est pas uniquement composé de gestes, bien que ce soient à mon avis les moments les plus essentiels. Il y a aussi une dimension qui s’ouvre sur les possessions des propriétaires. Un panorama des fleurs, des animaux et des oeuvres d’arts nous est donné en filigrane.

En écrivant le mot « possession », je pense enfin à cette dimension critique « marxiste » qui se révèle en second degré du film. Il y a très probablement une relation dialectique entre « les travailleurs de la villa » et les propriétaires. Au fil des enchaînements de séquences, on saisit quelques bribes d’informations simples sur le mode de vie de deux femmes bourgeoises. Elles reçoivent des invités, jouent aux cartes, mangent et passent des coups de fil, en parallèle aux employés dont les gestes très précis, comme le son du sécateur, se répètent à l’infini.